film

LES QUATRE SOEURS

Titre Original LES QUATRE SOEURS
Titre traduit
Réalisateur LANZMANN
Claude
Distribution
Production
Année 2018
Format 2 DVD
Durée 274'
Langue Fr.
Musique
Distinction
Interprètes
Résumé Claude Lanzmann revient sur le destin de Ruth Elias, Ada Lichtman, Paula Biren, Hanna Marton : quatre femmes ayant vécu l'horreur des camps. Il les avait interviewées en préparant Shoah et consacre aujourd'hui un film à chacune d'elle. Comme dans Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures ou Le Dernier des Injustes, il met en perspective ces récits filmés il y a trente ans afin de comprendre les processus mis en place par le régime nazi pour exterminer les Juifs d'Europe. 4 épisodes: Le serment d'Hippocrate (90') avec Ruth Elias - La puce joyeuse (52') avec Ada Lichtman - Baluty (64') avec Paula Biren et l'Arche de Noé (68') avec Hanna Marton. En quatre parties : LE SERMENT D’HIPPOCRATE – BALUTY (voir aussi 8651) – LA PUCE JOYEUSE – L’ARCHE DE NOE
Diffusion
Droit 0
Festival
Genre Documentaire
Shoah
Auteur du Commentaire Agnès Bensimon, Jack P. Mener et Adolphe Nysenholc
Commentaire d'Imaj Introduction générale Pour sa dernière œuvre cinématographique, Claude Lanzmann a puisé dans la mémoire vive des rushes de Shoah, tournés il y a plus de 40 ans, les témoignages inédits de quatre femmes, survivantes des camps d’extermination. Si elles sont sœurs, ce n’est pas par les liens du sang. Ruth Elias, Paula Biren, Ada Lichtman et Hanna Marton ont en commun d’avoir survécu à la déportation, à l’horreur dont chacune a été victime. Surtout, elles sont, de façon extraordinaire, des sœurs en humanité. Première partie : LE SERMENT D’HIPPOCRATE, Ruth Elias, 89 minutes Quand le lumineux visage de Ruth Elias apparaît à l’écran, elle joue de l’accordéon. Ses yeux brillent et son sourire s’épanouit. A l’arrière-plan, on voit passer son chien, un berger allemand. Claude Lanzmann est assis en face d’elle, attentif et muet. Il se tient la plupart du temps hors-champ, à quelques exceptions près, à la faveur d’une question. Le témoignage de Ruth Elias occupe l’écran et le spectateur est happé par la tension qui va crescendo au rythme de son récit. Une tension à la limite du supportable d’autant plus qu’elle relate d’une voix égale sa descente aux enfers. Lorsque les troupes allemandes envahissent la Tchécoslovaquie, Ruth a 17 ans. Elle a grandi dans une famille bourgeoise, son père a développé une entreprise prospère, dont il se fait dépouiller du jour au lendemain. La famille parvient à se cacher dans une ferme pendant trois ans avant d’être déportée, en 1942, au camp de Theresienstadt, suite à une dénonciation. Elle y fait la connaissance d’un jeune homme qui bénéficie d’une plus grande liberté de mouvement, comme membre de la milice du camp. Un transport vers Auschwitz est planifié, en 1943, et toute la famille de Ruth est concernée. Elle refuse de partir avec les siens, malgré les injonctions de son père, pour rester avec son fiancé qu’elle épouse. Le couple parvient à vivre d’éphémères moments de bonheur dans « le camp des familles » aménagé à Theresienstadt. Ruth découvre qu’elle est enceinte alors qu’ils vont être déportés dans un convoi pour Auschwitz. Dotée d’un instinct de survie tenace, Ruth réussit à duper le Docteur Mengele lors d’une sélection en vue de constituer un groupe de 1000 femmes, en partance pour Hambourg. Il faut dégager les gravats d’une raffinerie bombardée. Ruth en est au huitième mois de grossesse et tient le coup. Cependant la responsable du baraquement signale son état lors d’une visite médicale. Retour à Auschwitz où elle croise à nouveau le Docteur Mengele qui n’en revient pas d’avoir été dupé. Sa vengeance sera des plus immondes. De quoi vouloir mettre fin à ses jours. C’est alors que surgit une femme médecin qui va aider Ruth, au nom du serment d’Hippocrate qu’elle a prêté au début de sa carrière. Ruth choisit la vie, mais à quel prix. Durant son récit terrifiant, le visage de Ruth ne perd rien de sa lumière, sa voix reste claire. Elle témoigne, ne laisse pas affleurer ses sentiments. Pour nous qui recevons ce témoignage (difficile en effet d’employer le terme « spectateurs ») le contraste renforce nos émotions. Ruth a refait sa vie en Israël où elle a d’ailleurs retrouvé le médecin qui l’a soutenue et qu’elle considère comme sa mère. Son nouveau pays est celui de sa renaissance et le garant de sa protection comme celle de son peuple. Le témoignage de Ruth Elias, préservé grâce à Claude Lanzmann, traverse le temps et nous fait don de son humanité. LES QUATRES SŒURS de Claude Lanzmann Deuxième partie : LA PUCE JOYEUSE (Der Lustige Floh ), Ada Lichtmann,52 minutes Dans l’œil de l’objectif, une femme confectionne des habits de poupée et parle de son passé. Dans cette partie, Claude Lanzmann prouve encore qu’il n’a pas son pareil, en art de la maïeutique, pour amener des témoins de la Shoah à raconter sans fard devant une caméra les épisodes les plus tragiques qu’ils ont traversés. Mieux qu’un Thucydide, un Tite-Live, un Samuel Pepys et bien avant l’archivage des enregistrements audiovisuels des survivants de la Shoah par la Fondation Spielberg, Lanzmann s’est fait un devoir d’historien de retrouver des survivants qui ont personnellement assisté à la destruction des Juifs d’Europe par le régime nazi pour raconter ce qu’ils ont vu et vécu afin d’en garder une trace vivante, désormais hors du temps, pour les générations présentes et à venir. Les témoignages de ces quatre héroïnes, non pas « sœurs » de même parents mais d’un même destin de survie, ont précédé en 1968 le gigantesque travail de collecte d’entretiens recueillis par Lanzmann qu’est ensuite devenu son film-culte « Shoah » réalisé entre 1974 et 1985. Ici, Ada Lichtman relate sans pathos, comment elle a échappé en septembre 1939, lors de l’invasion de la Pologne par les troupes nazies, au massacre, la veille du nouvel-an juif, de toute sa famille et des hommes de son village de Wieliczka à 14 km de Cracovie, le pillage de leurs biens personnels par des paysans polonais, l’incendie de la synagogue avec des Juifs enfermés dedans, et comment elle a douloureusement survécu au camp d’extermination de Sobibor en travaillant comme lavandière et couturière. Un camp sardoniquement intitulé « La Puce joyeuse » en rappel de la vermine qui infestait le camp de Sobibor. Lanzmann, attentivement à l’écoute, laisse tourner la caméra. Il pose par-ci par-là une brève question, ou demande une précision, rien de plus. Le mari d’Ada reste la plupart du temps silencieux, son profil immobile, comme gravé dans la pierre. Pendant que les mots simples d’Ada décrivent les pires horreurs qu’elle a vécues. Un jour, raconte calmement Ada, le visage neutre, l’impitoyable Wagner, le chef du camp surnommé le Loup de Sobibor (il jetait lui-même les enfants du train dans les wagonnets, rapporte-t-elle), la surprend se gavant d’une crêpe qu’elle tente de dérober. Il la somme de le suivre et l’entraîne vers un baraquement. Elle croit sa dernière heure venue. Il lui désigne une montagne de vêtements laissés par les déportés passés à la chambre à gaz. Il lui ordonne d’en prélever un maximum pour confectionner de jolis habits pour sa femme et pour les poupées arrachées aux petits enfants juifs enfournés dans le crématoire. Ce seront de joyeux cadeaux à ramener aux enfants allemands. Ada, bénéficie du privilège de cette nouvelle occupation jusqu’à la révolte des prisonniers du camp de Sobibor le 14 octobre 1943 (dont Lanzmann a réalisé un film) et la libération du camp d’extermination par les Russes dont elle sera un des cinquante survivants sur les 250.000 Juifs qui y furent assassinés. Au moment de son récit en 1968, Ada (aujourd’hui disparue) vit avec son mari au kibboutz. Et peut-être que pour elle, la vraie résilience, dans cette paix incroyablement retrouvée, c’est de justement pouvoir y confectionner des habits de poupées qui feront cette fois la joie de petites israéliennes. Là est le miracle. L’autre miracle, comme écrit Arnaud Desplechin dans sa lettre d’hommage à Claude Lanzmann, c’est d’avoir « mis des mots sur l’indicible ». Car, comme conclut Ada : « C’est impensable d’être dans un camp de la mort et de subir tout ça ». En 2017, comme en un testament livré à l’Histoire, Ada a rejoint ses « sœurs » de l’enfer dans cette tétralogie, recomposée par Claude Lanzmann à leur mémoire et à celle des autres femmes, des hommes, des enfants, des bébés et des fœtus, criminellement incinérés par les bourreaux de la barbarie nazie. Jack P. Mener LES QUATRES SŒURS de Claude Lanzmann Troisième partie : BALUTY, 64' Dans sa série, Les Quatre Sœurs, sœurs en shoah, Lanzmann, toujours maître en art de la maïeutique, interroge ici une femme mûre qui était adolescente durant la guerre, Paula Biren, devenue médecin à New York. Elle est une femme qui respire la beauté et il doit la faire parler de l’horreur qu’elle a vécue. Elle a connu le ghetto de Lodz du premier jour au dernier, durant 4 ans. Baluty était le bidonville de cette ville et on en a expulsé les habitants pour y enfermer les Juifs. Le président du Conseil des Juifs (le Judenrat) instauré par les nazis, Chaïm Rumkovski *, qui dirigeait tout d’une main de fer, a sauvé un maximum de ses coreligionnaires en leur proposant de travailler… pour les Allemands, qui avaient besoin de main d’œuvre dans leurs usines. Car qui n’était pas utile était déporté par ces derniers. Et dès 1942, tous savaient déjà que les « camps » signifiaient la mort. Ce leader a compris qu’il pouvait jouer dans une certaine mesure la « collaboration » pour la survie de son peuple. Employée dans une fabrique de vêtements pour la Wehrmacht, Paula Biren a été sauvée. Et s’est sentie coupable quasi toute sa vie. Elle avoue qu’elle a été une privilégiée. Rumkovski, en idéaliste croyant dans l’avenir, avait créé un lycée avec une ferme, où les jeunes gens étaient formés, c’était son rêve ! pour partir au kibboutz en Palestine. Ils trayaient des chèvres, avaient à manger, mais étaient interdits d’emporter de la nourriture pour leur famille qui souffrait de la famine. Paula Biren s’en sentait mal. Après un an, comme diplômée, elle est d’abord préservée par le travail forcé jour et nuit dans un atelier de confection, et ensuite par un emploi dans la Police, qui utilisait aussi des femmes pour faire régner l’ordre dans les rues. Toute personne attrapée en flagrant délit de faire du marché noir était envoyée dans un camp d’extermination. Un jour une policière, dégoûtée de ce boulot, demande à Paula Biren, laquelle était officier dans un bureau, de l’accompagner sur la voie publique et d’assister à une arrestation. Ce fut celle d’un malheureux colporteur pris sur le fait, et donc, pour cette faute vénielle, condamné à la peine capitale. Paula Biren, du coup honteuse, voulut démissionner, mais c’était signer son propre arrêt de mort. Elle n’était pas encore au bout de son sentiment de culpabilité. Le jour où les Allemands ont exigé que les parents livrent leurs enfants pour qu’ils soient « mieux nourris » ailleurs fut des plus sombres. Son amie qui connaissait parfaitement le sort qu’on leur réservait a refusé devant tout le monde de donner sa petite fille. Un S.S. s’est approché : « Si tu n’obéis pas, je te tuerai ». Elle n’a pas obtempéré. Il lui a logé une balle dans la tête, elle est tombée à côté de la petite qu’elle adorait. Ce suicide « assisté » fut un message clair adressé à tous qui s’aveuglaient : la mort de son enfant était une certitude et, comme mère, elle n’aurait pas pu y survivre. Quant à Paula Biren, elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que c’est elle qui a tué ses parents. Lors de la liquidation du ghetto (le 3 août 1944), comme ancienne étudiante du Lycée rumkovskien, elle pouvait faire partie d’un train spécial. Mais elle a décliné l’offre : de fait, elle a voulu rester avec les siens, piégée par les mêmes liens de famille qui l’ont empêchée de fuir à l’Est quand c’était encore possible au début de la guerre et qu’elle n’a pas voulu ou pu les abandonner. Elle s’est donc retrouvée à Auschwitz où elle n’a pu être d’aucun secours pour ses père et mère assassinés. Or, elle a appris que le convoi dont elle aurait pu bénéficier était destiné à Theresienstadt, un camp de rassemblement, il est vrai de transit… Seulement sa parentèle aurait-elle été autorisée à l’accompagner ? Paula Biren n’a pu résoudre son problème de conscience que lorsqu’elle a renversé la question : « quand on vous a emprisonné, déshumanisé, vous n’avez pas à vous sentir mal de ce que les autres vous ont fait ! » Telle fut la perversité des nazis : ayant forcé les victimes à participer aux crimes, les bourreaux se dédouanèrent sur eux de leur responsabilité ! Or, se révolte notre dame, le monde entier, par son silence, a été complice. « C’est vous qui devriez-vous sentir coupables pour ce qui m’est arrivé. » Le film commence en plein air avec une femme bien de sa personne, presque enjouée, mais silencieuse, en plan général, sur fond de ciel bleu au-dessus de l’océan ouvert à l’infini, pour parler de l’enfermement sinistre qu‘elle a subi, - pour finir, à l’opposé, sur le close-up final, un gros plan du visage (serré dans le cadre), où affleure l’âme secrète de la femme rescapée, qui, après avoir libéré sa parole, tirant une dernière bouffée de sa cigarette, laisse échapper de sa bouche un peu de fumée, peut-être celle gardée en elle d’Auschwitz. Paradoxes de l’image, où se révèle, dans la tension audio-visuelle contradictoire de ce qui est dit et de ce qui est vu, la force expressive du cinéaste. Adolphe Nysenholc

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