Article Qui dira Le Kaddish

Article paru dans Centrale, n°213, septembre 2013

Qui dira le Kaddish (des Pavés pour la mémoire), film documentaire, de Marian Handwerker, Production L’Atelier Alfred, L’Echange, 2013, 52’. Avec l’aide de la Fondation du Judaïsme de Belgique et l’aimable concours de l’Association pour la mémoire de la Shoah.

Le film attire l’attention sur une action mémorielle de type nouveau. Tourné de nos jours, dans les quartiers des immigrés où vécurent les déportés de jadis, il développe un point de vue inédit dans l’échange interculturel.

Que voyons-nous sur l’écran ? Un homme sonne à une porte. Lui ouvre une femme d’origine maghrébine. Il lui apprend qu’il est né dans cette maison, où ses parents ont été arrêtés en 1942. L’hôtesse croit qu’on a tué des Juifs dans la maison. Elle a peur, chaque fois qu’elle va à la cave. Le fils des déportés, qui  est là, comme un revenant, la rassure : elle ne doit rien craindre, il n’y aura pas de fantômes dans l’immeuble dont elle est l’actuelle propriétaire. Il sait que ceux qui ont été arrachés à leur domicile naguère ne sont jamais revenus, qu’ils ont été assassinés à plus de mille kilomètres de là, à Auschwitz. La pose des pavés devant la porte de la rue, le lieu de leur rafle, l’attestera. Les pierres gravées de leurs noms rendent hommage à la mémoire des disparus, mais sortent aussi, de la maison, les « esprits », qui ne devraient plus hanter les résidents à l’intérieur de leurs murs.

Une des originalités du film est ainsi le dialogue entre les générations : parents disparus et enfants survivants qui cultivent leur souvenir, et immigrés juifs d’avant la guerre et immigrés musulmans dans la paix qui entrent ainsi en contact avec eux. Le film va poursuivre sa quête du passé à travers plusieurs anciens enfants de la Shoah, qui, dans leur échange avec les résidents actuels, révèlent les destinées les plus diverses. Il est construit, en crescendo, à partir de celui des témoins qui a le caractère le plus « rentré », étant presque mutique, à la femme qui sera la plus expansive dans l’expression de son émotion. Au passage, pour l’un, on ne saura pas où mettre le pavé car tout un pâté de maisons a disparu, comme si celles-ci avaient été emportées avec les déportés. Pour un autre, il y a à présent un grand mur blanc à l’endroit où habitaient les siens, comme s’il ne pouvait plus avoir accès à son passé. Une autre voit son pavé agréé par l’habitant actuel, qui trouve même que c’est un honneur d’avoir ce mémorial au seuil de sa demeure, et qui l’invite aimablement à entrer. La suivante, qui n’est pas juive dit-elle, fait cependant mettre une telle pierre, comme une stèle, parce qu’elle ne peut concevoir de ne pas être concernée, agissant en sauveuse à titre posthume, sinon en Juste. Une autre encore, Polonaise née en Allemagne, qui vit à Liège, finit par avouer que sa mère était juive et continue cependant à se cacher de l’être elle-même. La caméra à l’épaule saisit sur le vif les réactions spontanées des êtres présents. Une dernière survivante montre les photos des siens, de belles personnes, dont le visage blême la hante encore, elle, comme des fantômes… Il ne s’agira pas d’être exhaustif. Mais, avec les images les plus significatives, sera donné un nouvel aperçu sur la réalité de la Shoah et de son vécu actuel.

Le film de Marian Handwerker, composé comme une mosaïque, sans pathos, touche le spectateur. L’œuvre est rythmée par le refrain des plans où s’active le sculpteur Gunter Demnig, lequel rend les honneurs avec ses pierres gravées au nom des morts, enfin revenus chez eux. Ils ne peuvent plus entrer « à la maison », mais on ne peut plus les faire partir. Ils sont là à demeure. Passant, souviens-toi. Ces cailloux sont semés dans la ville pour que tu puisses retrouver leur chemin. Vus du ciel, ils brillent dans l’ombre comme des étoiles.

Adolphe Nysenholc

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